Publié dans Amérique du Nord

Ces voisins qui nous rendent fous… de colère ou de joie !

Ce sont les habitants qui créent les villes. Et si l’on veut être plus rigoureux, ce sont les voisinages qui créent les quartiers ! C’est en tout cas le postulat de départ de Will Eisner quand il a réalisé la bande dessinée Avenue Dropsie.

Il nous montre l’histoire d’une avenue du Bronx, à New York, l’avenue Dropsie, à travers les histoires de ses habitants et de leurs interactions. Cette histoire commence en 1870 quand cette région était encore occupée par des terres agricoles gérées par des Néerlandais et se termine dans les années 1980, quand New York s’était transformée en métropole et capitale financière mondiale.

Ce retour en 1870 représente un saut dans le temps important mais qui nous remémore que les États-Unis ont été une terre d’imigration durant des siècles. C’est pourtant la source d’un paradoxe : les immigrants sont relativement réticents à l’arrivée d’autres immigrants. C’est ainsi que les Néerlandais rejetent les Anglais qui eux-mêmes repoussent les Allemands et les Italiens ; les Italiens quant à eux s’opposent aux Espagnols et ces derniers reproduisent ce même comportement face aux Afro-Américains…

Ce sont les conflits entre ces cultures et ces habitants qui ont construit l’histoire de cette région, tout autant que les histoires d’amour et d’amitié entre ces différentes familles. L’avenue vit au rythme des naissances, des mariages, du développement industriel, des immigrations, de la violence des gangs, des changements d’architecture, des crises économiques, des saisons, de la corruption, des guerres et des difficultés courantes.

Et c’est avec un incroyable talent que Will Eisner condense en moins de 200 pages de dessins près de 100 ans d’histoire. En réalisant cette bande dessinée, il essaie de dévoiler les relations humaines telles qu’il les a connues. Car Will Eisner s’est inspiré de sa propre vie pour dépeindre ce voisinage et a dessiné quelques personnages à l’image de ses voisins de l’époque. Il est le fils d’immigrants juifs et est né en 1917 à Brooklyn. Il est donc au cœur du récit.

D’ailleurs, c’est presque une étude ethnologique qui se présente sous couvert de caricature en noir et blanc.

Will Eisner est un dessinateur grandiose. Il noircit les pages avec une aisance déconcertante. Les dessins s’étendent et refusent les bords des cases, semblent être en trois dimensions, sont tantôt ténébreux, tantôt lumineux, et surtout attisent les émotions les plus variées.

Les dessins en noir et blanc ne font que renforcer le message du dessinateur : la décadence d’une ville est avant tout la décadence de ses habitants. L’orgueil, l’avarice, l’intolérance et la brutalité sont les maux du quartier. Ces maux sont symbolisés par l’encre noire qui envahit le papier et assombrit la vie de ces personnages et les embrasse dans leur descente aux enfers.

En dessinant l’avenue Dropsie, c’est New York, les États-Unis et l’évolution de nos sociétés modernes qu’il décrit. Une vision critique mais aussi juste de nos comportements qui prête à sourire puis à réfléchir…

Avenue Dropsie est le troisième volume de la trilogie newyorkaise après Un pacte avec Dieu et Jacob le cafard.

Will Eisner, Avenue Dropsie, 2007.

Laisser un commentaire